dimanche 30 octobre 2011

Syrianska sauve sa peau en D1 suédoise



Imaginez l'Ararat d'Issy-les-Moulineaux qui terminerait 17ème du championnat de Ligue 1 ! Surréaliste ? En Suède, c'est un fait concret. Cela se passe à Södertälje, à 30 km au sud de Stockholm, dans la partie sud-est du pays. Cette ville de 70 000 habitants est célèbre pour abriter le siège de la multinationale Scania, de même qu'elle est la ville où est né l'illustre Björn Borg.
Dans les années 70, elle a accueilli beaucoup d'immigrés assyriens. C'est un peuple sans pays qui lui soit propre, vivant en Iraq, Iran, Liban, Syrie et Turquie et qui y fut souvent opprimé.
C'est suite au coup d'Etat militaire de 1971 en Turquie, que des assyriens étaient arrivés à Södertälje. Ils formèrent leurs propres associations et en 1975, ils créèrent un club de football, Assyriska, qui démarrait alors en 7ème division suédoise. Il se voulait le représentant des descendants du vieux peuple assyrien de Mésopotamie. Deux ans, plus tard, un autre club était créé, Syrianska, par une autre branche de la communauté, les syriaques orthodoxes.

Environ 20 000 assyriens vivent à Södertälje, elle est souvent surnommée "la capitale de l'Assyrie" et c'est une communauté qui a rapidement prospéré, notamment dans le commerce (nombreux restaurants, salons de coiffure, bijouteries) ou en faisant carrière chez Scania. Il y a même eu un ministre suédois de l'Education, d'origine assyrienne au sein du gouvernement social-démocrate, dans les années 80, en la personne d'Ibrahim Baylan.

Assyriska, le frère ennemi de Syrianska
(c) assyriskashop.com

Assyriska et Syrianska sont frères ennemis, témoignant de la séparation culturelle entre assyriens et assyriens syriaques. Au début des années 90, lors d'une rencontre entre les deux équipes (certains l'appellent même "le derby de Baghdad" !), il y eut des heurts sévères entre les supporters des deux clubs et le match avait dû être abandonné. Pendant environ 10 ans, la fédération de foot suédoise décida même de les faire jouer dans des groupes différents. Par la suite, peu avant les derbys, les deux clubs s'entendaient pour fermer leurs forums et leurs divers sites internet, afin d'éviter toute provocation qui donnerait lieu à des affrontements de supporters pendant le match.

Assyriska est le club le plus doté et avec un meilleur standing. C'est lui qui allait émerger le premier et quand il réussissait à atteindre la première division suédoise (Allsvenskan) en 2005, les médias saluaient cette belle réussite d'immigrants qui avaient travaillé dur pour y arriver. Mais c'était omettre de parler de ce qui se passait en arrière plan : des menaces et des harcèlements contre les coachs ou les joueurs adverses et des membres de différentes familles se battant au sein de la direction ...
Les joueurs eux-mêmes étaient peu disciplinés, si bien qu'Assyriska ne dura qu'une saison en division majeure suédoise et cette saison, ils viennent de terminer 9ème de "Superettan", la D2 suédoise.

En cette fin d'après-midi, Syrianska, le frère ennemi, allait tenter de réussir là où Assyriska avait échoué six ans plus tôt. Nouvellement promu, Syrianska avait arraché la 14ème place à Trelleborgs, dans les dernières journées. Il n'y a que 16 clubs en première division suédoise, et le 14ème peut encore se sauver en jouant un match de barrage aller-retour contre le troisième de Superettan.
Le match aller s'était mal passé pour Syrianska. Ängelholm, ville de l'ouest de la Suède, tout près d'Helsingborg, était l'heureuse élue : son club avait arraché la troisième place, coiffant sur le poteau celui d'Öster Växjö (souvenez-vous de ce club, c'était un ancien adversaire de coupe de l'UEFA, de l'Olympique Lyonnais coaché alors par ... Domenech !) Malgré avoir mené 0-1 en début de seconde mi-temps par le biais de son buteur nigérian, Peter Ijeh, Syrianska en avait ensuite encaissé deux et s'était inclinée 2-1 à Ängelholm, au match aller. Tout était donc à faire au match retour.

(c) svt.se

Syrianska, tout comme son rival local Assyriska, étaient des équipes 100% assyriennes jusqu'aux années 90 où leur accès à des divisions plus élevées ne leur permettait plus de ne compter que sur la qualité de leurs joueurs locaux, pas assez nombreux pour former une équipe assez compétitive. Aujourd'hui, ces deux équipes comptent un peu moins d'une moitié de joueurs d'origine assyrienne au sein de leur effectif, la plupart de papiers suédois, pour une autre moitié de joueurs de divers origines.
Robil Heidari, porte-parole du club d'Assyriska, déclarait un jour à ce sujet quelque chose de très paradoxal : "Nous sommes heureux d'être un club ouvert aux immigrants. Et nous sommes heureux d'être allés si loin avec beaucoup d'assyriens dans l'équipe. Mais dans le même temps, si vous considérez nos joueurs assyriens en tant que suédois, ce qui est leur nationalité officielle, nous sommes une équipe plus suédoise que la majorité de celles de première division"
Et Heidari n'a pas tort, d'autant que les deux clubs ont révélé de nombreux joueurs qui ont par la suite joué dans les meilleurs clubs suédois jusqu'en équipe nationale.

On pourrait citer par exemple Kennedy Bakircioglu, né à Södertälje, suédois d'origine assyrienne formé à Assyriska où il joue pendant 3 saisons avant de faire les beaux jours du club suédois d'Hammarby puis destination Iraklis en Grèce puis Twente et l'Ajax d'Amsterdam et actuellement le Racing de Santander (sans oublier ses 14 capes en équipe nationale de Suède).
Citons aussi Sharbel Touma, né à Beyrouth, arrivé tout petit en Suède dont il a la nationalité. D'origine syriaque, il débute naturellement avec Syrianska pendant trois saisons puis les meilleurs clubs suédois (Djurgarden, AIK, Halmstad) puis deux saisons au Borussia Mönchengladbach puis Iraklis en Grèce, ensuite retour en Suède à Djugarden en 2010, et retour aux sources cette année, à Syrianska (sans oublier ses deux capes en équipe nationale de Suède).

Abgar Barsom, pièce maîtresse de l'équipe de Syrianska
(c) idrottsfoto.com

Revenons-en au match de barrage retour Syrianska/Ängelholm disputé en cette fin d'après-midi. Syrianska a perdu l'aller 2-1 et doit renverser la vapeur. Voici les temps forts, comme si vous aviez vécu le match !

24' tir de Dinko Felic des 25m, le gardien d'Ängelholm est battu, la balle s'écrase en plein sur sa transversale et revient dans l'aire de jeu. Peter Ijeh tente de reprendre mais la défense d'Ängelholm l'en empêche.
30' La possession de balle est annoncée par la chaîne suédoise qui retransmet le match : 60% pour Syrianska contre 40% pour Ängelholm
41' Corner tiré par Abgar Barsom sur la droite. Tête smashée de Peter Ijeh qui passe de peu au-dessus.
52' Tir lointain à ras de terre de Barsom, des 25 mètres, le ballon se loge sur le côté gauche des buts d'Ängelholm (1-0). Les 4 273 spectateurs du stade (moins les quelques dizaines de supporters adverses) sont fous de joie !
55' Ivan Ristic concède un coup franc dangereux à l'entrée de la surface de Syrianska. Le coup franc est dévié par un joueur de Syrianska et file en corner.
57' Sur ce corner, Sebastian Andersson égalise de la tête pour Ängelholm. Dwayne Miller, le gardien jamaïcain de Syrianska ne peut rien faire (1-1).
60' Coup franc accordé à Syrianska, à quelques mètres de la surface. Barsom le tire et le gardien d'Ängelholm doit s'employer pour dévier en corner, lequel ne donne rien.
65' Débordement de Sleyman sur la gauche qui centre vers le point de pénalty, sortie du gardien adverse qui est trop court et Johan Arneng - la seule tête blonde de l'équipe alignée cet après-midi - devance le gardien et marque de la tête (2-1) ! Le stade est en délire !
69' Un défenseur d'Ängelholm se télescope avec son gardien, c'est la panique dans la défense d'Ängelholm. Peter Ijeh conclue par un tir en pivot qui passe de peu au-dessus.
72' Incursion dans la défense de Dinko Felic qui laisse la balle à Yussuf Saleh qui tire à côté. Grosse domination de Syrianska.
73' Longue balle sur le côté droit, centre de Johan Arneng que la défense d'Ängelholm dégage en corner, lequel ne donne rien.
75' Débordement sur la gauche, centre et la balle n'est reprise par personne. La pression est toujours sur Ängelholm !
76' Suite à une faute sur Ijeh, coup franc aux trente mètres, plein centre, tiré par Barsom. Le gardien d'Ängelholm dégage des poings.
78' Nouveau coup franc pour Syrianska, sur la droite, à la même distance que précédemment. Barsom le tire directement et il passe quelques mètres au-dessus.
80' Encore un coup franc, même distance, qui ne donne rien mais permet aux locaux de continuer leur pressing.
81' Marcus Lindberg fauche Ijeh qui débordait sur la gauche. L'arbitre lui donne un rouge !
83' à 87' Multiplications de centres dans la surface et trois corners à l'avantage des locaux qui campent véritablement les buts d'Ängelholm, profitant de leur supériorité numérique.
88' Ballon en cloche dans la surface pour Ijeh qui manque son contrôle.
92' A 5 secondes du coup de sifflet final, c'est le but du maintien pour Syrianska ! Contrôle de la balle de Felic, à l'intérieur de la surface, dos au but, qui sert Yussuf Saleh, dans la partie gauche de la surface qui centre au second poteau sur Ijeh et c'est un défenseur, David Bennhage, qui marque contre son camp (3-1) !


Sur le coup d'envoi, l'arbitre siffle la fin du match, voyant l'équipe de Syrianska entrer dans l'histoire comme la première équipe d'une communauté étrangère à assurer son maintien en division majeure d'un championnat européen.
Le terrain est rapidement envahi par des dizaines de supporters de Syrianska. Abgar Barsom a même des difficultés à répondre aux questions des commentateurs.

Sources :
http://www.christiansofiraq.com/two-assyrian-soccore-teams.html
http://www.syrianskafc.com/Alaget/Truppen.aspx
http://en.wikipedia.org/wiki/Syrianska_FC
http://fr.wikipedia.org/wiki/Assyriska_FF
http://en.wikipedia.org/wiki/Syriacs
http://en.wikipedia.org/wiki/Sharbel_Touma
http://fr.wikipedia.org/wiki/Kennedy_Bakirciogl%C3%BC
http://www.allsvenskan.se/

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